tard,
tu reprends l'avion, tu repars chez toi. Le
papier, c'est ce qui s'est passé entre les deux.
Si t'es là depuis la veille, ça n'a plus de
sens, c'est fabriqué, il y a une nuit à
enjamber. Tu comprends ce que je veux dire : même
si j'avais été là à l'heure, ça n'aurait pas
vraiment été « Une journée avec ...
», juste « Quelques heures ... ».
Tu vois ? »
« Oui, Heu... peut-être. »
« Tant pis, on va improviser, alors. (Soupir).
Tu as fait bon voyage ? »
« Horrible »
« Ah ? »
« Tu veux que je te raconte ? »
« Hey les gars ! ça fait cinq minutes que
je la torture et elle me demande si JE VEUX QU'ELLE
ME RACONTE ! Cinq putains de minutes et elle me
demande si ... »
« Ok. Je te racontes. »
WILDE LIFE
La veille, ils avaient un avion à Heathrow sur
le coup de huit heures. Ils viennent le prendre
à la dernière minute. Trop tard pour faire
enregistrer la basse du bassiste. Au moment d'embarquer,
le chef de cabine des British Airways refuse de
considérer la Fender comme un « Bagage à
main ». (Note : n'est considéré comme
bagage à main que ce qui peut tenir sous le
fauteuil ; le fait est qu'une Precision ...). Le
petit bassiste doit donc laisser sa basse à un
employé des B.A. qui promet de faire voyager l'instrument
sur un vol Air France prévu une heure plus tard.
Evidemment le bassiste atterrit à Orly, tandis
que la basse arrive tranquillement une heure plus
tard à Roissy 2.
Première Galère.
Ils passent la douane. Tout va bien jusqu'au
moment où un douanier (guadeloupéen) refuse de
laisser passer le batteur (jamaïcain) pénétrer
en territoire français. Le batteur aurait dû
demander un visa. Il ne l'a pas fait. Il ne
passera pas. Bref, il faut au frisé de la maison
de disques deux heures de palabres, de menaces et
de tentatives de corruption pour que le batteur
quitte enfin le Duty Free Land et puisse passer
en France.
Deuxième galère.
Il est minuit quand ils arrivent à l'hôtel?
Miss Wilde mange des escargots de l'année dernière,
ou boit un cognac de trop, j'ai oublié, mais
toujours est-il qu'elle passe une nuit exécrable.
Troisième galère.
A huit heure, on la réveille alors qu'elle
venait juste de s'endormir. A dix heures trente,
elle sur le plateau du 102 pour répéter le
morceau qu'elle va chanter sur le coup de midi et
demi dans « Atout Coeur » la
danielgilbererie de Patrick Sabatier.
Quatrième galère.
J'arrive.
Cinquième galère.
WILDE WORLD
« Ca te fait pas trop tartir de venir à
Paris juste pour deux télés, et de repartir
aussitôt ? »
« Non, c'est le boulot. De toute façon,
demain, j'ai un tournage à Londres. »
« Et Sabatier, il te hérisse pas trop ?
»
« C'est le boulot. »
« La promo, c'est pareil ? Tu supportes bien ? »
« Le boulot. »
« C'est curieux. C'est une question que je
pose à toutes les filles que j'interview. » |
|
« C'est
ton problème. En fait la promo, c'est pas le
pire : une fois sur cent, le type qui t'interview
ne repousse pas du goulot. Il y en a même
parfois qui réussissent à t'arracher un sourire.
»
« Non, c'est vrai ? Tu sais sourire ? Sur
les photos, tu fais toujours la gueule. »
Elle soupire.
« Attends, je vais te montrer. »
Elle attrape un sac de voyage derrière elle et
commence à farfouiller.
« Qu'est-ce que tu fabriques ? Tu cherches
une photo de toi avec un sourire ? »
« Attends, je te dis. »
Finalement, elle sort un Instamatic qu'elle se
colle sur l'oeil.
« Hey, est-ce que t'as envie de sourire à
CA ? »
« Ca dépend du genre d'oiseau qui va sortir.
»
« Pardon ? »
« Laisse pisser. C'est une expression française.
Ce serait trop long. »
Elle a toujours l'appareil au milieu de la figure.
« Alors, franchement, ça te donne envie de
rigoler, un gros oeil tout noir ? Et encore ! Là,
t'as pas les flashes et les projecteurs dans la
gueule. »
« OK, mais tu pourrais sourire une fois de
temps en temps. »
Elle me grimace un truc.
« Chee-eese. »
« Plus grand, le sourire. »
Je m'agrippe les commissures à pleines mains et
j'écarte pour lui donner l'exemple. Elle éclate
de rire. C'est pas déplaisant. Ca lui va très
bien.
« Dommage que j'aie pas eu d'appareil planqué
sous mes badges. Je tenais un scoop. »
« ... Et tu t'attirais un tas d'ennuis.
»
WILDE IS SUCH IS SACRIFICE
La dame revient avec deux verres de café et deux
sucres. Pas de cuillères. On touille avec la
hampe d'un pinceau à rimmel. La dame s'éclipse.
On entend un saxe qui fait des gammes. Ce sont
les musiciens dans la pièce à côté.
« En comptant tout, les télés, les radios,
les photos, les répètes, tout, tu travailles
combien de jours par semaine ? »
« Ca dépend, douze en moyenne... »
« Ce qui fait... »
« Quarante-huit par mois. »
« Et tu tiens le choc ? »
« Je serais malvenue de me plaindre. Il y a
deux millions de chômeurs en Angleterre. »
« Oui. A part ça ? »
« A part ça, j'adore chanter. Ca ne me gêne
vraiment pas de recommencer dix fois par prise.
Ce qui m'énerve parfois, c'est l'attente. Pour
le reste, je me dis que ça fait partie de mon
boulot. Pour une fille, il n'y a pas trente six
façons de vivre le rock. Soit elle se fait
sauter par Mick Jones ou Keith Richards. Soit
elle chante des chansons qui font n°1. En
étant n°1, une fille a une chance d'obtenir
un minimum de respect. »
« Précisément. Est-ce que tu as l'impression
d'être un sex-symbol ? »
« Pour l'instant, j'ai pas eu le temps de
vraiment m'en rendre compte. Je suis très protégée.
Mon père était dans ce business. Il connaît la
chanson (He knows the score). Je suis très
entourée et très bien défendue. »
« Et d'être une rock star ? Ca fait quoi ?
Je me suis toujours demandé. »
« Même chose. Je réalise pas bien. Je me
dis que j'ai la chance de vivre ce truc |
|
à l'âge
que j'ai. »
« Quel âge tu as ? »
Sans hésiter, sans ciller :
« Vingt deux ans. »
« C'est raisonnable. Donc tu disais la
chance... »
« Oui, ça m'ouvre des portes, la vie que je
mène. Ou du moins, je suis sûre que ça va m'en
ouvrir. »
« Quoi par exemple ? Le ciné, le théatre ?
La comédie musicale ? »
« Non. Pas ces portes-là. Des trucs dans ma
tête que ça va régler ou révéler. »
« Tiens, c'est la première fois que j'entends
ça. Habituellement, dans le rock, les gens se
plaignent plutôt : ils accusent le truc de les détraquer,
de foutre leur vie en l'air. »
« Personne n'a besoin du rock pour foutre sa
vie en l'air. »
« Woar !»
Elle claque des doigts et prend un air hautain.
« N'est-ce pas ? »
BORN TO BE WILDE
« Qu'est ce que tu va lui chanter à
Sabatier ? Ton dernier simple ? »
« Ouais, « Child Come Away ». »
« Avant de venir, je l'ai écouté quatre
fois d'affilé histoire de me réveiller. J'ai
rien compris. On dirait Burroughs et Sollers qui
se racontent leur rêves. »
« Qui ? »
« Laisse, c'est deux baudruches. Je veux
juste dire que les paroles n'ont ni queue ni tête.
»
« C'est exprès. »
« Ah, Balèze ! Tu préfères quand les gens
pigent rien ? »
« C'est pas comme ça qu'il faut présenter
les choses. Je crois que le texte de « Child Come
Away » est très riche, très ambigu. Chacun peut y
comprendre ce qu'il veut. »
« Mouais. N'empêche. Depuis « We're
the kids in America ohwowo », t'as fait du
chemin. »
« C'est toujours de la pop, tu sais. Et puis
c'est pas à moi qu'il faut demander ça, c'est
à mon père. C'est un grand parolier mon poupa.
Ses meilleurs trucs sont encore à venir. »
« On espère bien. »
WILDE THING
On patiente hors champ à gauche du plateau. Elle
grelotte, elle renifle, elle grelotte. Je tombe
la veste et la lui pose sur les épaules.
« Hum, gentleman », elle fait.
« Rock'n roll », je réponds.
Le temps passe.
Nicole Calfan est en train de grimacer un play
back total. La bande défile. La chanson brille
par son absence. Le genre de truc à faire 199
dans un top 200, juste devant le thème d'ET à l'accordéon.
Pour la voix, on dirait un couinement de pompe à
vélo. La môme Wilde et ses boys sont morts de
rire. J'essaie de leur expliquer.
« A l'origine, c'est une actrice. »
« Elle est connue ? » demande le sax.
« Pas mal. Mais si voulez vraiment la connaître,
vous tombez bien : elle est justement à poil
dans le « Lui » de ce mois-ci. »
La Wilde m'adresse un mauvais regard.
« Si c'est tout ce que tu as à raconter, tu
peux peut-être aller commencer ton article à côté.
»
La Calfan a fini. Les barons applaudissent. La
Wilde et son gang se mettent en place. Ca démarre.
Le Jamaïcain caresse |