[ Home | Couverture | Page 66 | 67 | 68 | 69 | 70 | 71 | 72 ]

une caisse claire alors que c'est des percus synthétiques qu'on entend. Le bassiste joue sur une Gretsch pas branchée que le frisé-maison de disques est allé chercher en catastrophe chez son pote qu'est bassiste de Lavilliers. Elle, elle chante pour de vrai. Très bien. La chanson est juste honnête, mais il y a ce pont au milieu. Elle jette la tête en arrière, secoue ses mèches et, là, c'est rageur. On sent qu'elle a encore de la puissance en réserve si nécessaire. Quand elle chante, elle l'impose ce « respect » auquel elle tient.
Le frisé vient m'en toucher deux mots.
« Pas mal hein ? »
« Ouais, elle a du coffre »
« Et puis ça plaît par ici, j'aime mieux te dire. Un million deux cent mille « Cambodia ». Triple platine ! Tu le crois, ça ?
« Ben, si tu le dis »
« Les deux trente ? Allez, dis un chiffre ! »
« Je ne sais pas, disque d'or ? »
« DOUBLE disque d'or, mon pote ! Double disque d'or CHACUN ! Et je recois plus de cinquante lettres par jour. Plus que les Stones ! »
« Combien les Stones ? »
« Oh, une vingtaine par semaine »
« Tu les lis ? »
« Jamais. Sauf celles qui sont personnellement adressées à Keith Richards. Là tu te fends la gueule. Tu te rends compte qu'il existe de ces délatés ! »
« Moi, j'aimerais bien lire celles qu'on envoie pas à Jhonny Thunders... »

WILDE BUNCH
Elle a à peine fini sa chanson qu'un poker de kids lui saute déjà sur le rable. Font même pas l'effort de lui parler anglais, les chiens. « Woar, hey, ho siouplait ! Woar. Un autographe, hey ! » Heureusement, ils sont éloquents, avec leurs stylos tout mâchonnés et leur exemplaire de « Rock et Bédé ». Hey, sales petits cons radins ! J'veux bien qu'on soit en crise, mais ils auraient quand même pu investir seize balles dans un 45 tours ! Je t'en fous ! Elle signe le fanzine. Et là, les kids me stupéfient, ils lui font la bise - comme ça, d'autore ! Elle, elle est tellement interloquée par l'impudence franchouillarde qu'elle subit les léchouilles des trois premiers sans réagir, sans s'essuyer. « Heul' concert heud' Olympia heu' tait super heu ! ». Elle leur fait « Thanks » en espérant que ça convient. Arrive le quatrième, le plus boutonneux, celui qui a le plus de poil au menton. On sent bien qu'elle veut fuir, mais elle se ressaisit. Elle ferme les yeux et accepte l'hommage. Le cinquième n'a pas eu le temps de dire ouf, ou de préparer ses babines de rat au big bisous baveux qu'il médite depuis la sortie de « Chequered love » : elle fuit à toutes jambes vers les loges.

WILDE BUNCH 2
Elle a ramassé son sac. On quitte la maison de la radio, porte B. Là, on trébuche sur une nouvelle escouade de fans. Un genre différent. Plus âgés (vingt cinq de moyenne), plus élégants (en cuir noir des pieds à la tête) - cette moeuf réconcilie décidément tout le monde - mieux équipés (Instamatic qui crépitent tout ce qu'ils peuvent), mieux élevés (ils n'essaient pas de la bécoter). Finalement, on réussit à embarquer dans le bus.

WILDE IS THE WIND
Le mini-car roule sur les quais rive droite, direction Théâtre de la Porte Saint Martin. Elle est à l'arrière avec le sax et le bassiste. Le sax a passé le bras derrière
  ses épaules. Scoup ! Scoup ! Idylle ? La radio du bord balance l'intro de « Serpentine Fire ». A ma gauche, le Jamaïcain se fend d'un sourire blanc comme une avalanche. « Hey, Dat's groovy ! ». Je lui raconte Hearth Wind and Fire il y a un an au Garden. Il me raconte EWF au Garden, il y a trois ans.
A Concorde, elle commence à tousser. Au Pont Neuf (soit deux bornes plus loin, pour les lecteurs de province), elle TOUSSE toujours. Or, elle est censée passer l'après-midi à gazouiller dans un micro. Je me retourne. « Hey, faites quelque chose, quelqu'un ! ». Le sax la tiend par l'épaule et me regarde avec un air con et inefficace. L'air de dire : « La tirer, je sais faire. La soigner, pas vraiment. » Au Châtelet, soit six cents mètres après, pour les lecteurs d'outre mer, elle tousse toujours. Le carrosse s'arrête devant le Sarah Bernhardt (troquet mitoyen du Théatre de la Ville - NDA). Elle descend avec le frisé et va s'enfiler un ou deux whiskies. Quand elle revient, elle ne tousse plus, elle a du rose aux joues et elle dit : « Pff, C'est la première fois que je bois autant d'alcool le matin ! »
On va pour redémarrer quand un flic noir en ciré blanc s'avance vers nous. Le Jamaïcain ricane : « Who's dat cat ? Dee police ? »
« A ton avis ? »
« Laissez-moi, je vais arranger ça »
« Rien du tout. Tu fermes ta gueule »
« Si, laissez moi lui parler, j'vais arranger ça. »
« Ecrase. Tu vas nous foutre dans la merde. Tu causes même pas français »
Le bassiste s'y met : « Ouhyeah ! Common, mait'. Serve dat block some jamaïcan jive ! »
L'autre commence à gueuler des « Hey mon » au flic. Je gueule plus fort que lui : « Arrêter vos conneries ! Commence pas à l'appeler Brother, à lui claquer les paumes ou je sais trop quoi ! Ici, tout votre soul brotherhood shit, ça marche pas. C'est pas ton frère ! C'est un putain de flic ! »
Le flic colle son nez à la vitre. Le batteur lui fait des grimaces. Le flic hausse les épaules et fait signe de circuler. On enquille le boulevard de Sébastopol. On passe devant un kiosque à journaux. Le bassiste pousse des hurlements « Woey, les mecs c'est la gonzesse det'à l'heure ! Woeh ! ». En effet, gros comme une petite maison, on voit la Calfan aguicher les esthètes et faire beau sourire sur l'affiche : « NUE, par Mireille Darc. » « Woey, les mecs c'est la gonzesse heud' l'à l'heure ! ». La môme Wilde me jette un regard gracieux comme un coup de rangeo dans les noix. Et j'ai encore perdu une splendide occasion de la fermer. Une de plus.

WILDE SIDE STORY
Ils nous ont installé dans un couloir, en attendant que tout soit prêt pour les répétitions. Il y a un piano qui traîne dans un coin. Le beau sax s'y installe et commence à tapoter la mélodie de « Child Come Away ». Joué comme ça, on dirait du Sati (preuve que ...). J'en profite pour raccrocher les wagons. « C'est ça que j'aime dans le boulot de rock critique. T'es toujours en contact avec les musiciens, tuois. Des gens si gais. Avec eux la musique est partout, tout le temps, toujours ready to kill. Leur suffit d'un piano oublié dans le couloir des tines ou de deux baguettes et d'une rangée de cailloux ! Ah les artistes ! »
Elle veut bien rigoler. J'en profite.
  « Et sinon à Paris, quand tu te les gèles pas dans le hall entre deux tournages, tu fais quoi, du shopping ? »
« Je hais le shopping »
« C'est ton droit. Tu remplaces par quoi alors ? »
« Quand il fait beau, je descends les Champs Elysées et, arrivée en bas, je prends mon repas français préféré. »
« Oui ? »
» Un croque monsieur avec un verre de Beaujolais »
« Mâtin ! »
« Morning ? Is that what you said ? »
« Ouais, c'est français. Ca veut dire « ben dis donc ». Cherche pas, c'est pas important. »

GONE WITH THE WILDE
Ils lui font répéter son passage dans « Vidéo Cracks Super Show ». Je vais pas perdre mon temps à raconter ça, on ne me croirait pas. C'est produit par FR3 et France Inter. Deux gamines présentent le truc. Un T shirt FR3, un T shirt Inter, ça situe. Derrière l'artiste, des néons pâlichons pendouillent tristement « Video Cracks » par ci, « Super Show » par-là, « FR3 » à gauche « Inter » à droite... etc. Ils se plantent, tout est à refaire. La Wilde prend ça bien. Ils se sont encore gourrés, un néon pas allumé. une petite fille qui est sortie du champ, un truc comme ça. La Wilde toussote. On reprend. Encore raté, on recommence tout. Cinquième prise. « Elle est bonne, mais on en refait une autre pour être sûr ».
Sixième prise. « Merci, Mademoiselle » Elle accorde une courte photo-session dans l'escalier. Les flahes giclent, les moteurs ronronnent. Evidemment, elle fait la gueule. « Allez, on remballe » beugle le frisé. « Encore une séance dans le dix-septième et c'est fini : direction Roissy ! Waolaut' hey ! Le rock critique ! il nous laisse là ! feignant ! dégonflé !

WILDE CHILD
Alors, bien sûr (mais c'est si commode le lendemain matin), on me dira « Hé, te barrer avant la fin, c'est pas pro. »
Je dis pas.
Mais n'empêche.
Ca s'est pas trop mal passé. Mieux qu'avec Grace Jones. Et puis le papier est moins chiant, même si avec une gueule de bois, on parle et on écrit une langue de même métal. Certes, je me suis tiré, mais j'en savais assez. Ca servait plus à rien d'en rajouter. Parce que sur la fin, il y avait eu le frisson, celui qui me désigne les stars, et à partir de là, ça suffisait. Au bout de la sixième fois qu'ils lui ont fait reprendre la chanson à zéro, elle commençait quand même à en avoir sa claque. Alors, au moment du pont, elle s'est cambrée, elle a jeté sa tête en arrière, elle a secoué ses mèches, elle a respiré fort, les seins ont tendu le Tshirt blanc, elle s'est bien assise sur ses jambes un rien écartées l'une de l'autre, elle a agrippé le pied du micro, elle a presque crié. Ca a empli la salle. Il se passait quasiment quelque chose. Elle souriait en transparence, tant elle savait qu'elle était bonnne, douée, pas si conne. Elle avait l'arrogance de ceux qui méritent ce qui leur arrive.
« Alors, elle en porte ou elle en porte pas sous son fute super moulant ? »
« Hey, mon pote. Tu redis ça encore UNE fois et c'est un pain. »
« Mais ... »
« Tu m'as très bien entendu. »

LAURENT CHALUMEAU.
©Rock & folk

[ Home | Couverture | Page 66 | 67 | 68 | 69 | 70 | 71 | 72]

©Laurent Chalumeau