une
caisse claire alors que c'est des percus synthétiques
qu'on entend. Le bassiste joue sur une Gretsch
pas branchée que le frisé-maison de disques est
allé chercher en catastrophe chez son pote qu'est
bassiste de Lavilliers. Elle, elle chante pour de
vrai. Très bien. La chanson est juste honnête,
mais il y a ce pont au milieu. Elle jette la tête
en arrière, secoue ses mèches et, là, c'est
rageur. On sent qu'elle a encore de la puissance
en réserve si nécessaire. Quand elle chante,
elle l'impose ce « respect » auquel elle tient.
Le frisé vient m'en toucher deux mots.
« Pas mal hein ? »
« Ouais, elle a du coffre »
« Et puis ça plaît par ici, j'aime mieux
te dire. Un million deux cent mille «
Cambodia ». Triple platine ! Tu le crois, ça
?
« Ben, si tu le dis »
« Les deux trente ? Allez, dis un chiffre ! »
« Je ne sais pas, disque d'or ? »
« DOUBLE disque d'or, mon pote ! Double
disque d'or CHACUN ! Et je recois plus de
cinquante lettres par jour. Plus que les Stones ! »
« Combien les Stones ? »
« Oh, une vingtaine par semaine »
« Tu les lis ? »
« Jamais. Sauf celles qui sont
personnellement adressées à Keith Richards. Là
tu te fends la gueule. Tu te rends compte qu'il
existe de ces délatés ! »
« Moi, j'aimerais bien lire celles qu'on
envoie pas à Jhonny Thunders... »
WILDE BUNCH
Elle a à peine fini sa chanson qu'un poker de
kids lui saute déjà sur le rable. Font même
pas l'effort de lui parler anglais, les chiens.
« Woar, hey, ho siouplait ! Woar. Un
autographe, hey ! » Heureusement, ils sont
éloquents, avec leurs stylos tout mâchonnés et
leur exemplaire de « Rock et Bédé ».
Hey, sales petits cons radins ! J'veux bien qu'on
soit en crise, mais ils auraient quand même pu
investir seize balles dans un 45 tours ! Je t'en
fous ! Elle signe le fanzine. Et là, les kids me
stupéfient, ils lui font la bise - comme ça, d'autore
! Elle, elle est tellement interloquée par l'impudence
franchouillarde qu'elle subit les léchouilles
des trois premiers sans réagir, sans s'essuyer.
« Heul' concert heud' Olympia heu' tait
super heu ! ». Elle leur fait « Thanks
» en espérant que ça convient. Arrive le
quatrième, le plus boutonneux, celui qui a le
plus de poil au menton. On sent bien qu'elle veut
fuir, mais elle se ressaisit. Elle ferme les yeux
et accepte l'hommage. Le cinquième n'a pas eu le
temps de dire ouf, ou de préparer ses babines de
rat au big bisous baveux qu'il médite depuis la
sortie de « Chequered love » : elle
fuit à toutes jambes vers les loges.
WILDE BUNCH 2
Elle a ramassé son sac. On quitte la maison de
la radio, porte B. Là, on trébuche sur une
nouvelle escouade de fans. Un genre différent.
Plus âgés (vingt cinq de moyenne), plus élégants
(en cuir noir des pieds à la tête) - cette
moeuf réconcilie décidément tout le monde -
mieux équipés (Instamatic qui crépitent tout
ce qu'ils peuvent), mieux élevés (ils n'essaient
pas de la bécoter). Finalement, on réussit à
embarquer dans le bus.
WILDE IS THE WIND
Le mini-car roule sur les quais rive droite,
direction Théâtre de la Porte Saint Martin.
Elle est à l'arrière avec le sax et le bassiste.
Le sax a passé le bras derrière |
|
ses
épaules. Scoup ! Scoup ! Idylle ? La radio du
bord balance l'intro de « Serpentine Fire
». A ma gauche, le Jamaïcain se fend d'un
sourire blanc comme une avalanche. « Hey,
Dat's groovy ! ». Je lui raconte Hearth Wind
and Fire il y a un an au Garden. Il me raconte
EWF au Garden, il y a trois ans.
A Concorde, elle commence à tousser. Au Pont
Neuf (soit deux bornes plus loin, pour les
lecteurs de province), elle TOUSSE toujours. Or,
elle est censée passer l'après-midi à
gazouiller dans un micro. Je me retourne. «
Hey, faites quelque chose, quelqu'un ! ». Le
sax la tiend par l'épaule et me regarde avec un
air con et inefficace. L'air de dire : « La
tirer, je sais faire. La soigner, pas vraiment.
» Au Châtelet, soit six cents mètres après,
pour les lecteurs d'outre mer, elle tousse
toujours. Le carrosse s'arrête devant le Sarah
Bernhardt (troquet mitoyen du Théatre de la
Ville - NDA). Elle descend avec le frisé et va s'enfiler
un ou deux whiskies. Quand elle revient, elle ne
tousse plus, elle a du rose aux joues et elle dit
: « Pff, C'est la première fois que je bois
autant d'alcool le matin ! »
On va pour redémarrer quand un flic noir en ciré
blanc s'avance vers nous. Le Jamaïcain ricane :
« Who's dat cat ? Dee police ? »
« A ton avis ? »
« Laissez-moi, je vais arranger ça »
« Rien du tout. Tu fermes ta gueule »
« Si, laissez moi lui parler, j'vais
arranger ça. »
« Ecrase. Tu vas nous foutre dans la merde.
Tu causes même pas français »
Le bassiste s'y met : « Ouhyeah ! Common,
mait'. Serve dat block some jamaïcan jive !
»
L'autre commence à gueuler des « Hey mon
» au flic. Je gueule plus fort que lui :
« Arrêter vos conneries ! Commence pas à l'appeler
Brother, à lui claquer les paumes ou je sais
trop quoi ! Ici, tout votre soul brotherhood shit,
ça marche pas. C'est pas ton frère ! C'est un
putain de flic ! »
Le flic colle son nez à la vitre. Le batteur lui
fait des grimaces. Le flic hausse les épaules et
fait signe de circuler. On enquille le boulevard
de Sébastopol. On passe devant un kiosque à
journaux. Le bassiste pousse des hurlements
« Woey, les mecs c'est la gonzesse det'à l'heure
! Woeh ! ». En effet, gros comme une petite
maison, on voit la Calfan aguicher les esthètes
et faire beau sourire sur l'affiche : « NUE,
par Mireille Darc. » « Woey, les mecs c'est la
gonzesse heud' l'à l'heure ! ». La môme
Wilde me jette un regard gracieux comme un coup
de rangeo dans les noix. Et j'ai encore perdu une
splendide occasion de la fermer. Une de plus.
WILDE SIDE STORY
Ils nous ont installé dans un couloir, en
attendant que tout soit prêt pour les répétitions.
Il y a un piano qui traîne dans un coin. Le beau
sax s'y installe et commence à tapoter la mélodie
de « Child Come Away ». Joué comme ça,
on dirait du Sati (preuve que ...). J'en profite
pour raccrocher les wagons. « C'est ça que
j'aime dans le boulot de rock critique. T'es
toujours en contact avec les musiciens, tuois.
Des gens si gais. Avec eux la musique est partout,
tout le temps, toujours ready to kill. Leur
suffit d'un piano oublié dans le couloir des
tines ou de deux baguettes et d'une rangée de
cailloux ! Ah les artistes ! »
Elle veut bien rigoler. J'en profite. |
|
«
Et sinon à Paris, quand tu te les gèles pas
dans le hall entre deux tournages, tu fais quoi,
du shopping ? »
« Je hais le shopping »
« C'est ton droit. Tu remplaces par quoi
alors ? »
« Quand il fait beau, je descends les Champs
Elysées et, arrivée en bas, je prends mon repas
français préféré. »
« Oui ? »
» Un croque monsieur avec un verre de
Beaujolais »
« Mâtin ! »
« Morning ? Is that what you said ? »
« Ouais, c'est français. Ca veut dire
« ben dis donc ». Cherche pas, c'est
pas important. »
GONE WITH THE WILDE
Ils lui font répéter son passage dans «
Vidéo Cracks Super Show ». Je vais pas
perdre mon temps à raconter ça, on ne me
croirait pas. C'est produit par FR3 et France
Inter. Deux gamines présentent le truc. Un T
shirt FR3, un T shirt Inter, ça situe. Derrière
l'artiste, des néons pâlichons pendouillent
tristement « Video Cracks » par ci,
« Super Show » par-là, « FR3
» à gauche « Inter » à droite...
etc. Ils se plantent, tout est à refaire. La
Wilde prend ça bien. Ils se sont encore gourrés,
un néon pas allumé. une petite fille qui est
sortie du champ, un truc comme ça. La Wilde
toussote. On reprend. Encore raté, on recommence
tout. Cinquième prise. « Elle est bonne,
mais on en refait une autre pour être sûr
».
Sixième prise. « Merci, Mademoiselle »
Elle accorde une courte photo-session dans l'escalier.
Les flahes giclent, les moteurs ronronnent.
Evidemment, elle fait la gueule. « Allez, on
remballe » beugle le frisé. « Encore
une séance dans le dix-septième et c'est fini :
direction Roissy ! Waolaut' hey ! Le rock
critique ! il nous laisse là ! feignant ! dégonflé
!
WILDE CHILD
Alors, bien sûr (mais c'est si commode le
lendemain matin), on me dira « Hé, te
barrer avant la fin, c'est pas pro. »
Je dis pas.
Mais n'empêche.
Ca s'est pas trop mal passé. Mieux qu'avec Grace
Jones. Et puis le papier est moins chiant, même
si avec une gueule de bois, on parle et on écrit
une langue de même métal. Certes, je me suis
tiré, mais j'en savais assez. Ca servait plus à
rien d'en rajouter. Parce que sur la fin, il y
avait eu le frisson, celui qui me désigne les
stars, et à partir de là, ça suffisait. Au
bout de la sixième fois qu'ils lui ont fait
reprendre la chanson à zéro, elle commençait
quand même à en avoir sa claque. Alors, au
moment du pont, elle s'est cambrée, elle a jeté
sa tête en arrière, elle a secoué ses mèches,
elle a respiré fort, les seins ont tendu le
Tshirt blanc, elle s'est bien assise sur ses
jambes un rien écartées l'une de l'autre, elle
a agrippé le pied du micro, elle a presque crié.
Ca a empli la salle. Il se passait quasiment
quelque chose. Elle souriait en transparence,
tant elle savait qu'elle était bonnne, douée,
pas si conne. Elle avait l'arrogance de ceux qui
méritent ce qui leur arrive.
« Alors, elle en porte ou elle en porte pas
sous son fute super moulant ? »
« Hey, mon pote. Tu redis ça encore UNE
fois et c'est un pain. »
« Mais ... »
« Tu m'as très bien entendu. »
LAURENT CHALUMEAU. |